
« Sur la face de cette vieille reine de nos cathédrales, à côté d'une ride on trouve toujours une cicatrice. “Tempus edax, homo edacior". Ce que je traduirais volontiers ainsi : le temps est aveugle, l'homme est stupide. Si nous avions le loisir d'examiner une à une avec le lecteur les diverses traces de destruction imprimées à l'antique église, la part du temps serait la moindre, la pire celle des hommes, surtout des hommes de l'art. » - Victor Hugo, Notre-Dame de Paris.
Déposé moins de dix jours après le feu qui a ravagé Notre-Dame avec des images qui ont fait le tour du monde, le projet de loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris porte la marque de la précipitation dans laquelle il avait été rédigé. Il a soulevé de nombreuses interrogations, que la commission de la Culture, de l'Éducation et de la Communication dont je suis membre, a souhaité lever. Sachant que je suis également au Conseil d’Administration de la Fondation du Patrimoine, je regarde avec attention - vous vous en doutez - ce qui se prépare pour la rénovation de ce monument Sacré pour les Chrétiens, iconique de Paris pour les athées et les agnostiques. Ce Projet de Loi a pour objet de mettre en place la souscription nationale destinée à financer la restauration et la conservation de Notre-Dame de Paris et de son mobilier. Les fonds recueillis serviront également à la formation des métiers d'art et du patrimoine nécessaires à la conduite des travaux.
Le projet de loi introduit un avantage spécifique en faveur des particuliers pour accompagner leurs versements au Centre des monuments nationaux, et à trois fondations reconnues d'utilité publique, la Fondation de France, la Fondation du patrimoine et la Fondation Notre-Dame. Les particuliers bénéficieront ainsi d'une réduction d'impôt sur le revenu de 75 % de leur don, jusqu’à 1000€.
Le projet permet également aux collectivités territoriales et à leurs groupements de participer à la souscription, au-delà de leur périmètre de compétence territoriale. Les sénateurs ont critiqué essentiellement l'article 9 du projet de loi autorisant le gouvernement, dans un délai d’un an après l'entrée en vigueur de la loi, à faciliter par voie d'ordonnance (c’est-à-dire sans débat parlementaire), la mise en œuvre de dispositions dérogatoires simplifiant et accélérant les travaux de restauration de l’édifice, pour tenir un délai de cinq ans fixé par le Président de la République. Ce procédé permettrait à l'exécutif de passer outre les règles en matière de patrimoine, d’urbanisme, de commande publique, d’archéologie, de protection de l'environnement, de voirie et de transports. Rien que ça !
La fin justifierait donc les moyens en matière de sauvetage du patrimoine sans aucun contrôle. Ces exceptions autorisées mettraient nécessairement à mal l'exemplarité même dont ce chantier devrait faire preuve au regard du monument concerné.
Notre Commission de la Culture a supprimé cet article craignant que les autorisations de dérogations, motivées par la volonté de faciliter le chantier de restauration, soient à la fois inutiles et dangereuses et que cela crée un précédent. Aux yeux du monde, quelle image aurions-nous de nous exonérer de nos propres lois ? De plus, lorsque l’on rentre dans les détails et que l’on demande de préciser les règles auxquelles il faudrait déroger, nous sentons comme un flottement dans l’air. On nous répond : “nous verrons quand le cas se présentera”, or, pour éviter une atteinte du pouvoir législatif par le Gouvernement la constitution exige que les ordonnances soient bordées dans leur périmètre d’application.
C’est donc principalement à cause de cet article 9 qu’aucun accord en Commission Mixte Paritaire n’a été trouvé, puisque nous refusons d’ouvrir la “boîte de Pandore…” .
« Les travaux de restauration de Notre-Dame devront préserver l’authenticité et l’intégrité du bien » Mais, si l’article 9 était le point bloquant, le Sénat a tout de même proposé des modifications de ce projet de loi. La commission de la Culture a ainsi jugé « indispensable » d’inscrire dans le projet de loi une référence aux engagements souscrits par la France en matière de patrimoine et aux textes internationaux. « L’architecture de la cathédrale a été déterminante pour le classement du bien “Paris, Rives de la Seine” au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1991. Les travaux de restauration de Notre-Dame devront préserver l’authenticité et l’intégrité du bien si nous ne voulons pas prendre le risque de porter atteinte à la valeur universelle exceptionnelle de celui-ci et de perdre le bénéfice de ce classement, qui ne manquerait pas d’avoir des effets sur l’attractivité de Paris et la crédibilité de la France en matière de protection du patrimoine », a jugé la présidente de la commission de la Culture, Catherine Morin-Desailly. La commission de la Culture a également proposé de confier la responsabilité de la restauration à un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministère de la Culture. Elle a également précisé que la maîtrise d’œuvre du chantier devrait être conduite sous l’autorité de l’architecte en chef des monuments historiques.
La commission mixte paritaire ayant échoué à trouver un consensus, le texte va repasser devant nos deux assemblées. Pour ma part, je suis allé dans l’hémicycle le 10 juillet pour défendre le point de vue du Sénat, partagé sur tous les bancs, et veiller à ce que ce chantier soit exemplaire. J’ai été heureuse de constater qu’en revenant au Sénat, le texte avait été grandement amélioré, puisque exceptionnellement le Ministère de la Culture avait réintroduit des propositions venant du Sénat. J’y ai vu une main tendue. Le gouvernement a pris conscience qu’il devait préciser le périmètre de dérogation à l’article 9 et j’ai été satisfaite d’observer que les gros points de blocages avaient été levés de bonne foi. Même si l’accord parfait n’a pas été trouvé, les travaux du Sénat et la richesse des débats auront permis d’améliorer un texte écrit un peu vite…