Un séisme. Une tragédie. Une honte. La langue française, pourtant si riche, manque peut-être de mots pour exprimer l’ampleur des conclusions de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise catholique (CIASE). Cette commission présidée par Jean-Marc Sauvé a annoncé à l’issue d’un travail de deux ans et demi, et c’est à saluer, sans entrave, un chiffre de 216 000 victimes mineures agressées sexuellement par des membres du clergé, 330 000 au total en incluants les agressions commises par des laïcs, salariés et bénévoles, qui travaillaient au sein des aumôneries, établissements d’enseignements ou camps de vacances par exemple.
Ces chiffres sont, et c’est important de le rappeler, une estimation. Elle a été calculée grâce à une méthode statistique, qui s'appuie sur une enquête longue de 30 mois, conduite auprès de 30 000 personnes et ayant permis également de récolter 6400 témoignages.
Il s’agit donc d’un phénomène massif et systémique. Le constat est sans appel, L’Église catholique est, hormis les cercles familiaux et amicaux, le milieu où la prévalence des violences sexuelles est la plus élevée.
En effet, la part des personnes qui l’ont fréquentée et qui y ont été agressées dans leur minorité est de 0,82 %, si l’on ne compte que les violences commises par des clercs ou des religieux et de 1,16 % si l’on inclut les autres agresseurs en lien avec l’Eglise. Dans les autres institutions de socialisation, ce taux est de 0,36 % pour les colonies et camps de vacances, de 0,34 % pour l’école publique, de 0,28 % pour les clubs de sport et de 0,17 % pour les activités culturelles et artistiques.
Loin d’être le comportement individuel de brebis galeuse, l’institution a aussi sa responsabilité dans ce drame. Pendant les années 1950 et 1960, celles durant lesquelles a eu lieu plus de la moitié des faits, la hiérarchie ecclésiale cherche avant tout à se protéger du scandale, en demandant aux victimes de se taire. Dans les deux décennies suivantes , la préoccupation de l’Eglise pour les abus semble s’estomper. La véritable reconnaissance des abus et le traitement adéquat des victimes n’interviendra que très tardivement, au début des années 2010 et même encore là, souvent insuffisamment et de manière inégale selon les diocèses.
Un constat accablant que j’avais déjà commencé à soulever dans un rapport sur les violences sexuelles sur mineurs en institution, co-écrit avec mes collègues Marie Mercier et Michelle Meunier sous la présidence de Catherine Deroche. Nous y évoquions alors la loi du silence qui prévaut au sein de cette institution et nous demandions que les mesures annoncées soient maintenant suivies d'effets pour que la souffrance des victimes soit reconnue.
Il ne nous reste donc plus qu’à espérer que l’Eglise se saisira pleinement du rapport Sauvé et qu’il sera le dernier de ce genre.