
Le 3 octobre, M. Roland Courteau, sénateur de l’Aude, Mme Chantal Deseyne, sénatrice d’Eure-et-Loir, Mme Françoise Laborde, sénatrice de la Haute-Garonne et moi-même avons déposé un rapport d’information réalisé au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Pour vous donner une vision assez claire de ce qui nous a conduit à établir ce rapport, voici quelques chiffres qui montrent l’ampleur de ce problème et l’urgence à faire le maximum pour le régler, en tout cas a minima de le réduire drastiquement:
- En France, 88 % des femmes autistes sont victimes de violences sexuelles.
- Sur une année, 0,8 % des personnes subissent des violences sexuelles. Le risque serait multiplié par deux pour les personnes atteintes d’un handicap (hors handicap mental) et par six pour les femmes présentant un handicap mental[1]. - 43% des femmes en situation de handicap rapportent avoir subi des propos ou comportements stigmatisants au travail, qu’ils soient sexistes, homophobes, racistes, liés à la religion, handiphobes ou liés à l’état de santé, contre 11% des hommes de 35 à 44 ans[2]. - 61% des femmes handicapées victimes de violences ont été victimes de harcèlement sexuel. - 4 femmes handicapées sur 5 sont victimes de violences[3]. - 80 % des personnes sourdes ne savent ni lire ni écrire. - 34% des femmes handicapées ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, contre 19% des femmes dites valides[4].
La délégation aux droits des femmes, alertée par ces chiffres et de nombreux témoignages, constate une exposition particulièrement marquée des femmes en situation de handicap aux violences, aussi bien dans le cercle familial que dans les institutions spécialisées ou au travail.
Comme - hélas - d’autres sujets concernant les femmes, il s’agit d’un tabou de notre société. De plus, nous sommes ici dans un cercle vicieux car les violences faites aux femmes et le handicap sont liés : « Si le handicap accroît le risque de violence, les violences accroissent également le handicap », selon la présidente de l’Association francophone de femmes autistes. Mais selon la vice-présidente de l’association France Handicap, « Les femmes handicapées restent invisibles et oubliées des politiques publiques ».
Derrière ce mot “fourre-tout” de “maltraitance”, la délégation appelle à une conversion du regard sur ces violences, pour intégrer systématiquement la dimension du handicap dans toutes les politiques de lutte contre les violences faites aux femmes.
De ce fait :
• Comment mieux les protéger contre les violences et leur offrir un accueil et une prise en charge adaptés ? • Comment renforcer leur autonomie, gage de protection contre les violences, face aux nombreuses discriminations qui compliquent leurs parcours professionnels ?
Si la délégation salue la prise en compte du handicap dans les quatrième et cinquième plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes, elle estime que cette dynamique doit être amplifiée dans les plans à venir.
Le « Grenelle contre les violences conjugales » qui a commencé le 3 septembre 2019 doit impérativement conduire à des mesures ambitieuses, notamment en terme de subventions, au regard du rôle crucial des associations qui œuvrent dans ce domaine. La pérennité de ces financements devient indispensable pour qu’elles puissent réaliser leurs missions dans des conditions favorables afin de lutter contre ce sujet grave, pourtant invisible…
Un point sur lequel j’avoue avoir été effarée : la délégation a exprimé sa vive émotion que ces femmes aient pu subir à leur insu des interventions de stérilisation, dans des institutions françaises voire icaunaises… Elle espère que ces pratiques sont aujourd’hui révolues et qu’aucune adolescente, aucune femme en situation de handicap ne fait l’objet aujourd’hui de telles interventions dans des conditions contraires à la loi.
• Solutions proposées :
Après avoir reçu et entendu des intervenants en rapport direct avec ces problématiques, nous avons formulé 14 recommandations liées au manque d’informations et de sensibilisations, résumées ici :
Pour mieux connaître le phénomène des violences faites aux femmes handicapées :
Recommandation n° 1 : la délégation préconise l’établissement de statistiques précises afin d’améliorer la connaissance des discriminations et des violences faites aux femmes handicapées.
Recommandation n° 2 : La délégation juge souhaitable de mieux documenter, dans la perspective de l’établissement de statistiques solides destinées à renforcer la prévention et l’accompagnement des personnes handicapées, le lien de causalité entre les violences subies et un handicap physique ou un grave traumatisme psychologique.
Pour favoriser l’autonomie des femmes en situation de handicap
Recommandation n°3 : l’insertion professionnelle des femmes en situation de handicap et leur autonomie financière sont des prérequis pour les protéger des violences. La délégation considère que le critère de l’égalité femmes-hommes devrait être mieux pris en compte dans les politiques visant à favoriser l’emploi et la formation des personnes en situation de handicap.
Recommandation n° 4 : La délégation est favorable à la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH), afin de renforcer l’autonomie financière des femmes en situation de handicap et de les préserver d’une dépendance potentiellement dangereuse dans les situations de violences au sein du couple.
Pour améliorer leur accès aux soins
Recommandation n° 5 : La délégation estime que l’information des adolescentes et des femmes handicapées sur la contraception et leur éducation à la sexualité s’inscrit dans la prévention des violences, plus particulièrement sexuelles, auxquelles elles sont malheureusement exposées.
Recommandation n° 6 : La délégation juge indispensable que le suivi gynécologique des femmes et des adolescentes en situation de handicap soit régulier, a fortiori dans le cadre d’un traitement contraceptif, qu’elles résident ou non dans des institutions et que le matériel médical permettant la prévention des cancers gynécologiques soit adapté à leurs besoins.
Pour renforcer la formation et la sensibilisation de tous aux violences qui menacent les femmes en situation de handicap
Recommandation n°7 : La délégation demande que l’effort de formation des professionnels à la spécificité des violences sexuelles commises contre les femmes en situation de handicap soit étendu à tous les intervenants potentiels. Elle préconise de renforcer la formation et la sensibilisation des acteurs de la chaîne judiciaire et elle souhaite plus particulièrement qu’une sensibilisation et une formation sur le psycho-traumatisme soient systématiquement dispensées aux professionnels intervenant dans le secteur du handicap.
Recommandation n° 8 : La délégation souligne la nécessité de garantir l’information des personnes handicapées sur leurs droits, ce qui suppose le développement d’outils de communication dans des formats accessibles, quel que soit le handicap.
Pour que les femmes en situation de handicap soient reconnues comme des sujets de droits et des citoyennes à part entière
Recommandation n° 9 : La délégation rappelle l’importance cruciale de l’accessibilité des lieux destinés à l’accueil des victimes de violences aux personnes en situation de handicap, qu’il s’agisse des commissariats, des tribunaux ou des hébergements d’urgence pour leur permettre de faire valoir leurs droits et d’entamer des démarches judiciaires.
La délégation souhaite également la création de permanences juridiques en langue des signes et le recours à des interprètes diplômés en langue des signes dans les tribunaux, de façon équilibrée sur tout le territoire.
Pour faire progresser la sécurité des personnes handicapées
Recommandation n° 10 : La délégation est favorable à la désignation de référents Intégrité physique au sein des personnels des établissements et services sociaux et médico-sociaux, dont la mission serait de recueillir le témoignage et d’orienter toute personne accueillie dans un tel établissement qui déclarerait avoir été victime de violence ou d’agression.
Recommandation n° 11 : La délégation rappelle sa conviction :
- Que le secret professionnel ne doit pas permettre aux professionnels, plus particulièrement aux professionnels de santé, de s’exonérer de leurs responsabilités quand ils sont en mesure de présumer qu’une personne handicapée est victime de violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ;
- Et que le signalement de situations de violences peut sauver des vies.
La délégation soutient donc la mise à l’étude de l’introduction, dans le code pénal, d’une obligation de signalement des violences physiques, psychiques ou sexuelles, notamment à l’attention des professionnels de santé.
Recommandation n° 12 : La délégation préconise de généraliser la consultation du Fichier Judiciaire Automatisé des Auteurs d’Infractions Sexuelles ou Violences (FIJAISV) pour le recrutement des professionnels et bénévoles intervenant dans les établissements spécialisés accueillant des jeunes en situation de handicap.
Recommandation n°13 : La délégation suggère d’enrichir la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement d’un volet autonome dédié à la prévention et à la lutte contre les violences sexuelles, qui affectent plus particulièrement les femmes.
Pour donner aux associations les moyens de mieux accompagner les femmes handicapées
Recommandation n° 14 : La délégation recommande que les subventions attribuées aux associations engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes handicapées fassent l’objet d’un effort budgétaire spécifique pour leur permettre de faire face à l’intensification de leur activité et que cet effort s’inscrive dans une perspective pluriannuelle favorisant la prévisibilité de ces moyens financiers.
Au travers de ces recommandations, nous devons faire en sorte de libérer la parole et que cette parole soit bien prise en compte par les personnes chargées de les recueillir.
Formation, budget, tout doit être aligné pour que ces femmes sortent enfin de ce cauchemar
Comme le disait Pascale Ribes, vice-présidente de France Handicap (Association des Paralysés de France), membre du Conseil national consultatif des Personnes handicapées, « Il est essentiel (...) de ne pas [les] réduire à des objets de soin, mais de les rendre visibles en tant que sujets de droit. »
Souhaitons qu’avec l’impulsion de Marlène Schiappa, Secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l' Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, le Grenelle des Violences Conjugales prenne également en compte ce sujet du handicap, facteur multiplicateur de la violence, car pour le moment, « Les femmes handicapées restent invisibles et oubliées des politiques publiques[5]. »
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[1] Association francophone de femmes autistes (AFFA)
[2] "L'emploi des femmes en situation de handicap", rapport du Défenseur des droits, 2016
[3] Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir
[4] Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, 2014
[5] Pascales Ribes